Départ de Gran Canaria, samedi 2 novembre. Cette fois-ci on y est. Après plus de deux ans et demi de préparation, la vraie transat est là, juste devant nos étraves. 2 660 Nm, soit environ 5 000 km de route, essentiellement d’est en ouest. Les routages sont rapides et prévoient une traversée express en moins de deux semaines. Les plus optimistes, distribués notamment le matin du départ, voient même une transat en dix jours avec une route très proche de la route directe, faisant le pari de passer devant une cellule orageuse pouvant barrer la route avec peu de vent et de grosses variations sous les nuages... Le schéma paraît risqué d’autant qu’il oblige à aller au plus vite vers l’ouest, en passant proche des dévents des iles Canaries (le pic de Teide est le point culminant d’Espagne avec ses 3718 mètres, autant dire que ça chamboule un peu le vent !)…

Que choisir ? Sur les pontons au matin, nous nous regardons tous en chien de faïence en essayant de glaner des indices sur ce qui semble être les schémas de chacun… Ce n’est pas franchement la partie que je préfère, et je sens que la tension monte un peu ! Heureusement, une fois en mer les choses sont plus simples ! Une fois le ponton quitté, les routines reprennent vite le dessus sur l’émotion : manœuvres, repérage de la zone de départ, timing… Je retrouve mon rythme à bord de mon bolide Project Rescue Ocean, et mûrit tranquillement ma tactique pour les prochaines heures. 

  

C'est parti pour ma troisième transat, couteau entre les dents. Crédit Photo : Christophe Breschi

Le vent rentre progressivement et l’ensemble de la flotte finit par se faire cueillir par un vent plus soutenu qu’annoncé. 14 h approche, c’est bientôt l’heure de la délivrance ! Jusqu’alors en short et en T-shirt, j’attrape en vitesse mon pantalon de ciré à l’intérieur du bateau qui accroche l’interrupteur de l’électronique du bord au passage… plus de compte à rebours ni de repère géographique pour estimer ma position par rapport à la ligne de départ… Cela me contraint à un départ « prudent », un peu en retrait de mes camarades les plus affutés, pour être sûr de ne pas partir trop tôt ! L’erreur bête, mais avec le stress on fait tous des boulettes…

Je choisis d’empanner rapidement vers la côte et de longer celle-ci au maximum jusqu’au sud de l’île de Gran Canaria : le vent de nord « enroulant » la côte pour finir est-nord-est au sud de l’ile doit me faire bénéficier d’un meilleur angle par rapport aux concurrents plus au large. Le plan se déroule sans accroc, dans ces 20-25 nœuds de vent et avec une mer assez courte, les bateaux accélèrent fort - il faut déjà doser pour aller suffisamment vite et ne pas tout casser. Un équilibre toujours difficile à trouver, surtout sur le début de course ! Les empannages sont particulièrement bien décomposés, ça serait trop bête de faire une erreur si tôt. A la tombée de la nuit, je suis en tête des prototypes, à quelques encablures d’Ambrogio Beccaria, le virtuose italien du bateau de série.

Décollage immédiat du la fusée 945 pour la Martinique ! / Christophe Breschi

Après la tombée de la nuit et les côtes qui s’éloignent dans le tableau arrière, j’en profite pour faire un petit point classement et essayer de repérer où sont mes camarades. Sans surprise, mon grand rival François Jambou n’est pas loin, Fabio sur le 716 fait un beau début de course et Erwan du 800 est un petit peu en retrait. En revanche, on ne sait pas trop où est Tanguy, troisième sur la première étape avec son foiler 969 ! 

Très vite, nous formons un petit groupe de quatre navigants à vue, avec François, Erwan et Ambrogio, qui continue de nous coller ! Les conditions de navigation sont particulièrement engagées avec une mer courte et casse-bateau nous obligeant à brider les accélérations de nos fusées pour éviter de nous arrêter net dans les vagues que l’on rattrape, au risque de partir en vrac et de casser du matériel. Les bateaux de série sont confrontés à la même mer avec la même longueur de coque, mais ils sont plus lourds et accélèrent moins rapidement, la problématique ne se gère donc pas du tout de la même façon. En y ajoutant le talent d’Ambrogio, on se retrouve à la lutte avec lui dans ces conditions !

Mon idée au départ de Las Palmas était de mettre un maximum de rythme sur les 72 premières heures de course… La présence d’un bateau de série à nos côtés me donne encore plus envie de le larguer, et j’attaque fort… sans doute trop fort !

    

Quand Project Rescue Ocean joue à cache-cache avec les vagues / Christophe Breschi

En portant plus de toile que les camarades de jeu (spi plus grand, moins de ris dans la grand voile), j’arrive à naviguer plus bas et/ou plus vite. Mais le prix à payer c’est que dans les risées, quand le bateau accélère plus fort qu’en temps normal sur une mer toujours aussi croisée, je finis parfois ma course folle en m’arrêtant net dans une vague plus grosse ou plus raide que les autres… L’énergie qui fait partir le bateau régulièrement à plus de 17 nds doit alors se dissiper, ce qui concrètement se traduit par un bateau couché sur l’eau, mât à l’horizontale, la quille, le ballast et le matossage du mauvais côté… la vie à 90° de la normale ! On appelle ça un « départ à l’abattée ». Sur les premières 48 h de course, j’en fais trois… C’est beaucoup !

Pour reprendre une route normale sans rien casser, il me faut en moyenne une bonne quinzaine de minutes après un tel choc, soit environ 3 à 4 milles à la vitesse où nous naviguons. Du coup, même si je vais plus vite, l’écart que je mets cinq bonnes heures à creuser est vite repris par mes poursuivants… Ca tire sur le matériel comme sur le bonhomme, et même si je m’en sors sans rien casser, j’y laisse des plumes sans prendre d’avantage sur mes adversaires !

Durant notre deuxième nuit de course, François Jambou réussit à maintenir une belle vitesse moyenne quand, avec Erwan, nous alternons nos phases de gros gains et d’arrêts buffets. A l’aube, Erwan décroche légèrement de notre quatuor franco-italien et prototypo-sériiste. Nous n’en saurons pas plus dans l’instant, sa VHF semblant hors-service ! François prend les commandes du classement en se décalant sous le vent d’Ambrogio. En toute franchise, j’ai vraiment du mal à me satisfaire de la situation et au lever du soleil le programme de la journée me paraît clair : aller chercher la seconde place le plus vite possible pour pouvoir tout de suite me concentrer sur ce qui m’intéresse, la première place occupée par François.

La dilemne du prototypiste, aussi appelé syndrome Alési : "A fond, à fond, gravier..." Christophe Breschi

Je m’installe à la barre pour gérer les risées qui accompagnent l’aube en attendant que ça mollisse légèrement pour renvoyer mon spi medium en tête de mât. Je navigue pour le moment arisé (surface de la voile réduite de 10 mètres carrés). L’état de la mer n’est toujours pas extraordinaire mais reste gérable, d’autant plus avec le spi porté au capelage (1 mètre 10 plus bas que la tête de mât) : je ralentis peu mais surtout je ne pars pas en grosse survitesse. Mais une à deux heures après avoir pris la barre, dans un surf anodin, bateau calé dans ses lignes, alors que je pense de plus en plus régulièrement à larguer le ris encore dans la voile, mon spi medium In’Tech explose….

Le renfort de point d’amure de la voile reste en bout de bout-dehors, le reste du tissu montant le long du guindant et reculant le long de la bordure. Machinalement, je saute à l’intérieur du bateau, attrape le grand gennaker Westlake Plastics et son emmagasineur, affale mon spi déchiré et renvoie au plus vite de la toile. Cela fait moins de 48 h que nous sommes en course. Le spi le plus important de cette première semaine de course est en lambeaux, il nous reste 2 350 Nm devant les étraves. Douleur. Détresse. Dégoût.

  

RIP, petit spi parti trop tôt... Crédit photo : Alex Delemazure, et votre serviteur endeuillé

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