Dimanche 27 juin, les Sables d’Olonne. Pas spécialement pressés d’aller poireauter sur l’eau en attendant le départ, Fred et moi sommes les derniers à quitter le ponton, préférant profiter jusqu’au dernier moment des amis et de la famille... C’est souvent quitte ou double comme stratégie mais sur ce coup-là, je pense que ça nous a bien aidé à ne pas monter en pression et aborder sereinement ce départ dans des conditions quasi parfaites (et Dieu sait que c'est rare en voile d'écrire ça...) ! A savoir, un vent medium qui nous permettait de bien avancer tout en restant parfaitement manœuvrable... Vu le nombre de bateaux sur l’eau et le risque de collision - grosses pensées d'ailleurs pour l'équipage qui a dû immédiatement faire demi-tour avec un tangon brisé - c'est toujours plus confortable ! 

 

Un départ vu de la mer par Bernard Gergaud, et vu de l'air par Thomas Deregnieaux

De notre côté, on sent que les entraînements avec le coach commencent à payer, puisque le départ s’est plutôt bien passé. On est partis à droite, côté comité de course, et il ne nous faut que quelques secondes après le traditionnel "top départ" pour prendre la tête du paquet ! Une petite mise en jambes côtière avait été mise en place par la direction de course pour faire un peu de spectacle dans la plus célèbre des baies vendéennes, et on a donc immédiatement tricoté jusqu'à la bouée au vent. Là encore ça se passe pas trop mal pour nous jusqu’à ce qu’une petite erreur d’appréciation nous fait faire un joli « hors cadre », c’est-à-dire un peu trop de chemin par rapport à l’objectif ! On passe donc deuxième à quelques mètres seulement derrière Redman à cette première bouée, puis on envoie le spi bord à bord. Grâce à la jolie cocotte de notre adversaire immédiat, on prend l’avantage et on passe la seconde bouée en tête avant d’envoyer notre redoutable gennaker et de maintenir cette avance à la troisième bouée. 

Après ça, c’était enfin l’envolée vers le grand large et le début du vrai boulot... mais il ne faut pas négliger le booster psychologique que constitue cette première gamme, surtout quand on savait la partition qui nous attendait derrière !  

Faire ses choix, et s'y tenir

Car le menu qui nous était annoncé n'était pour le coup pas des plus appétissants, avec de vraies inconnues sur le parcours et des paris à faire d'entrée de jeu. Le début de la course était un bord de près en babord amure, et l'idée était d’aller contourner un centre dépressionnaire orageux, pas forcément des plus actifs, mais qui générait des grosses variations d’intensité du vent. Notre stratégie a donc été de passer le plus près de ce centre en se disant que ce serait probablement là où il y aurait le plus de courbures dans les isobarres (promis, ce n’est pas un kamoulox même si ça peut sembler obscur) et plus de pression. Là, il faut imaginer que quand on dit que c’est là qu’il y aura "un peu plus de vent", c’est vraiment "un peu plus" que rien du tout, et que ça reste des conditions de vent très faibles qui nécessitent de rester bien patients et attentifs. Un demi nœud ou un nœud de vent en plus, ça peut faire une sacrée différence ! 

Magnifique prise de vue de Bernard Gergaud, avec un Project Rescue Ocean dans son élément !

Ce début de course a été un peu surprenant à nos yeux, car beaucoup de nos camarades ont un peu tiré la barre pour allonger la foulée, mais en se décalant fortement vers le nord. Face à cette stratégie, on a un peu incliné notre route aussi pour les accompagner, mais en restant du côté qui nous semblait le meilleur… Mais après quelques heures à ce rythme et en les voyant persister dans leur trajectoire, on s’est finalement décidés à coller à notre plan initial et faire la route qu’on avait en tête. C’est parfois si difficile  d’être sûr de son choix quand on voit les petits copains en faire un autre, mais on était sereins avec Fred sur les raisons qui nous poussaient à le faire ! 

Il s’avère que le vent a comme prévu fini par mollir… dans ces phases là, on fait donc ce qu’on peut avec ce qu’on a. Concrètement, d’autres bateaux placés un peu plus au Sud s’en sont mieux tirés que nous, notamment le 149 et Entreprendre pour la planète.
Quand le nouveau vent est rentré, les écarts se sont un peu creusés. On a profité d’une bonne vitesse pour prendre les commandes de la flotte accompagné de Redman et Lamotte Module Création, tous deux décalés un peu plus nord. Puis les angles se sont un peu améliorés, on a pu ouvrir les voiles, tirer la barre, et là on a senti le fossé générationnel entre les nouveaux bateaux et les plus anciens, qui ne pouvaient pas faire grand-chose pour suivre le rythme…

Des pieux jusqu'aux îles

Un nouvel obstacle se trouvait ensuite sur notre route, presque digne du Tour de France : un col, mais barométrique celui-ci, soit une zone de transition sans vent, entre deux dépressions. La difficulté c’est qu’il fallait essayer de trouver où elle était la moins large à traverser pour ne pas rester trop longtemps bloqués ! Dans cette phase là, Redman a réussi à mieux passer que nous alors que théoriquement les fichiers donnaient notre position plus avantageuse… c’est la vie, et comme toujours la réussite en est aussi un facteur-clé ! Heureusement, on n’a pas eu le temps d‘être déçus parce qu’après ça on a attaqué un joli bord de reaching sous gennaker, où ça avançait particulièrement vite et où on n’avait plus qu’à débrancher le cerveau et faire la route le plus rapidement possible ! Traduction : un bord qu’on aime bien…

On a commencé à affoler les compteurs, et faire des jolies pointes à 24 nœuds... malgré une mer de plus en plus formée ! Quel bonheur de voir le bateau évoluer aussi bien dans ces vagues, on savait combien c'était l'atout majeur de notre carène, mais on a pu encore une fois le constater in situ ! 

Ensuite, le vent a tourné vers le Nord-Ouest, ce qui nous a imposé de virer de bord pour éviter de nous retrouver… jusqu’en Irlande ! En tribord amure, on se retrouve au près, dans une mer encore bien établie. Là, tout de suite, ça commence à être moins agréable, et l’expression « planter des pieux » a de nouveau pris tout son sens. Ce ne sont clairement pas les conditions où on a le temps de manger, par exemple, mais on a essayé au maximum d’alterner les quarts pour être frais pour la suite du parcours… Globalement, on a réussi à maintenir une bonne vitesse, et surtout garder un très bon cap, notamment en comparaison de notre adversaire direct, Redman. On a abordé les îles des Açores avec une petite dizaine de milles d’avance sur eux, et là on s’est tous les deux mis sur le pont avec Fred pour gérer ce qui était clairement la grosse difficulté du parcours : l’arrivée et le départ des îles, avec tous les pièges que cela peut créer. 

  

Sur la route des Açores, un coskipper endormi, un lever de soleil, et un compagnon...

On n’a pas été déçus ! C’est bien simple : tout ce qu’on peut apprendre en cours de météorologie, on l’a eu : canalisations, tampons, dévents, phénomènes d’éventail, phénomènes de rebond, transitions, … Ca a été une belle bataille contre les éléments pour tracer notre route, et une fois arrivés à Horta, c’était magique de sentir les odeurs de la terre, de voir les illuminations... et nettement moins magique de repartir aussitôt, surtout pour se retaper les mêmes difficultés qu’à l’aller ! Particulièrement intense malgré notre particulière lenteur ! A charge de revanche pour l'escale de l'année prochaine, qui, je l'espère, durera du coup deux fois plus longtemps que prévu !

Et CRAAAAAAAAAAAAAAC le copain

Dimanche, quand on a (enfin) réussi à retrouver du vent stable, on a infléchi notre trajectoire vers le Nord, où on nous annonçait (enfin) ce qu’on était venu chercher : de la pure glisse au portant... Le vent est progressivement rentré, on est passés du grand spi au spi medium (oui, on apprend à ne pas bourriner comme des ânes, ou on vieillit…). Ca a commencé à accélérer franchement à mesure que les nuages arrivaient… et ils se sont tellement accumulés que, installé à la barre, j’ai demandé à mon copilote de choper mes lunettes de soleil pour qu’il puisse les ranger à l’intérieur du bateau à l’abri. A ce moment précis, la mer commençait à se former, et dans certaines accélérations on rattrapait parfois la vague de devant. C’est ce qu’il s’est passé à ce moment là, sauf que le bateau a du coup fait un gros arrêt-buffet. A l'intérieur, Fred a littéralement volé, comme dans un accident de voiture quand on n’a pas sa ceinture de sécurité…

Il tournait le dos à l’avant du bateau donc il est parti en marche arrière et a atterri sur le dos sur la varangue de quille. Depuis le poste de barre, je l’ai vu se plier en deux sur la cloison, et surtout j’ai vu son visage grimacer quand il s’est redressé, un vrai masque de douleur... Immédiatement, il a essayé de s’étirer pour chercher les amplitudes maximum et tenter de comprendre à quel point il s’était fait mal. A chaud, c’était douloureux mais il semblait avoir un peu de mobilité. On devait à ce moment-là prendre un ris, et il m’a aidé pour la manœuvre même s’il se sentait « dans le dur ». Puis on a ensuite dû affaler le spi pour changer de voile d’avant, et là il s’est rendu compte que la douleur l’empêchait de tourner les manivelles et de tirer sur les ficelles. Evidemment, un gros coup dur d'entendre ça…

Après discussions, on a décidé de le laisser aller se reposer, s’allonger et se détendre pour voir l’évolution de la blessure. On a passé la nuit comme ça sous gennaker, et ça avançait très vite – heureusement pour mon moral. Le lendemain matin, je revois très bien la tête de mon Freddy qui sort de l’habitacle et qui me dit clairement qu’il ne va plus falloir compter sur lui pour manœuvrer ou régler le bateau jusqu’à la fin de course. Grosse douche froide parce que là on réalise tous les deux que c’est une toute autre régate qui commence... Jusque là, on avait trouvé un super rythme où on se relayait toutes les deux, trois voire quatre heures, donc on se sentait vraiment frais pour jouer le match à fond. Evidemment, la blessure de Fred fait tout voler en éclats, et c’est frustrant sportivement de se dire qu’on ne va pas pouvoir conclure l’exercice au même niveau ! 

Les dilemmes

Concrètement, on avait deux options : continuer ou abandonner. Face à la douleur de Fred, c'était évidemment à lui de prendre cette décision, sachant qu'un abandon nous faisait faire route la Corogne, soit un gain de "seulement" 300 milles par rapport aux Sables d'Olonne. Il a tout de suite exclu l'option, me confirmant son souhait de "serrer les dents" 24 heures de plus, mais être rentré chez lui plus vite aussi et dans des conditions logistiques nettement plus simples (surtout en temps de Covid). Bon, dilemme numéro un : tranché. Le deuxième ? A quel rythme allions-nous continuer cette course...

Bien sûr, tout aurait été plus simple si on avait accepté de pas gagner la régate d’entrée de jeu, mais on ne se refait pas… Et puis, notre coach dit toujours : plus on va vite dans des conditions difficiles, moins ça dure longtemps ! On a donc dû se réadapter complètement, et faire au fil des heures et de la douleur de Fred. De mon côté, j'ai essayé de tenir autant que je pouvais à m’occuper du bateau, du réglage, de la veille, de la gestion de la météo, etc… et quand je sentais que je m’approchais de la zone rouge, je réveillais Fred, à qui ça faisait du bien aussi d’aller prendre un peu l’air de temps en temps, parce que vivre allongé et endolori dans une boîte de conserve qui rebondit dans les vagues, c’est pas le plus agréable ! Chaque fois qu’il se déplaçait à bord il fallait tirer la barre et ralentir le jeu pour lui permettre de se réinstaller le moins inconfortablement possible sous la casquette dehors à l’abri. Mais forcément, la douleur revenait plus vite que lorsqu'il était allongé, donc ces phases de veille avec la télécommande du pilote entre les mains duraient peu de temps malheureusement ! Concrètement, c’est lui qui me réveillait quand il ne pouvait plus tenir au bout d’une heure, parfois deux…

Malgré ces conditions compliquées à gérer, on a tenu des moyennes dingues avec plus de 400 milles parcourus en 24 heures, et un nouveau record de vitesse à 28,9 nœuds… Ce qui est quand même, sur un bateau de 40 pieds avec un Fred calé autant que possible dans un duvet et des fringues pour lui bloquer le dos, relativement insensé quand j'y repense ! 

Bricolage express et bataille d'empannages

Au bout de ces 48 heures ultra sollicitantes de mon côté, le vent a commencé à mollir et adonner. C’est redevenu plus vivable à bord, et il a fallu passer ensuite sous spi pour redescendre vers les Sables d’Olonne. A ce stade, j’avais quelques trous de lucidité dus à l’épuisement, avec notamment quelques hallucinations particulièrement gratinées… quand on envoie le spi, on est toujours 3-4 milles devant Redman, ce qui nous rend évidemment très heureux vu ce qu’on vit à bord, et qui nous tient aussi bien éveillé malgré l'épuisement !  Avant la tombée de la nuit mardi soir, on tape malheureusement un truc dans le safran, et on passe 20 minutes avec le bateau en vrac à devoir réparer... C’est peu dire que j’ai encore laissé quelques plumes dans ce bricolage express ! Et qu'on a du coup perdu du précieux terrain sur notre poursuivant...

Au petit matin du mercredi, la grande bataille des empannages s’est engagée… On en fera quand même 22 au total avant de couper la ligne, en « faux solo » je peux vous assurer que ça pique sévère ! On a un peu manqué de réussite car les conditions météorologiques sur cette fin de parcours tombaient vraiment dans le point fort de la carène de Redman. Là où notre bateau va être plus polyvalent, le Mach 4 est vraiment très typé pour ces allures entre 13 et 18 nœuds… On a d’ailleurs perdu jusqu’à 9 milles sur la journée de mercredi ! 

Le vent a commencé à mollir en début de soirée mercredi, on a essayé de se battre jusqu’au bout même si ça paraissait difficile de revenir… La conscience que c'est la dernière nuit en mer galvanise toujours le marin, et au lever du jour on les voit surgir avec nettement moins d’écart que ce qu’on avait constaté la veille au soir. A 35 milles de l’arrivée,  l’adrénaline prend alors le pas sur toute la fatigue accumulée... et même sur la douleur de Fred qui est resté avec moi dehors jusqu’à la fin de la régate ! Là, sans jeu de mots douteux pour la situation physique de Fred, c’est vraiment devenu un corps à corps… On a essayé d’attaquer jusqu’au bout pour revenir, mais clairement le fait d’empanner tout seul ne nous a pas fait gagner du temps ! 

Moralité exténuée

A l’arrivée, on finit donc à 3 minutes et 14 secondes derrière eux, soit à peine 400 mètres sur plus de 3400 kilomètres du parcours… 

Alors, frustrant, satisfaisant, soulageant, navrant, rageant ? A l'arrivée, je serais bien incapable de vous décrire mes émotions, tout simplement parce que j'étais trop exténué pour en avoir ! Comme l'a si gentiment résumé Fred en fin de parcours - et sur le coup, ça m'a fait moyen sourire - "l'aller était un super entraînement pour notre Transat Jacques Vabre, le retour un super entraînement pour ta Route du Rhum". Avec le recul, je retiens évidemment qu'on n'a pas démérité sur cette course, et que malgré les conditions particulièrement difficiles, on a réussi à mettre la pression jusqu’au bout à notre concurrent direct : 

On est donc très heureux de cette deuxième place, mais on a super hâte de retourner naviguer et se battre à nouveau à armes égales... parce qu’on sait qu’on a dans nos mains une machine qui a un potentiel dingue, et qui peut nous permettre de gagner ! 

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