Une Normandy Channel Race épique et riche d'enseignements !

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Ah, la Normandy Channel Race ! Depuis que j'ai mis un orteil dans le grand bain de la course au large, j'entendais souvent parler de cette course phare du circuit Class40, qui fêtait cette année ses onze ans d'existence. On m'avait promis de l'intensité sur ses 1000 milles de course (1800 km), du suspense, des pièges et de belles accélérations : toutes les cases ont été cochées, et avec la manière (ou pas justement) ! Il est donc d'autant plus important pour moi de me prêter au jeu du récit de course détaillé, car il y a quelques leçons que j'aimerais retenir de ma toute première course en Class40 ! 

Pour rappel du contexte, j'ai donc été convié à la fête comme coskipper de Rockall, un très bon bolide mis à l'eau en 2018 aujourd'hui propriété de Christopher, qui nous a gentiment mis à disposition le bateau avec Jörg Riechers, skipper allemand très expérimenté ! Ce Class40 numéro 155, dessiné par l'architecte Sam Manuard, est de l'avant-dernière génération des bateaux de cette classe. Mais si les carènes ont depuis bien évolué, avec un nouveau design de Sam et un plan David Raison que j'ai personnellement choisi comme futur voilier, le 155 reste quand même largement dans le match, et on partait avec l'envie de le prouver ! 

Départ de carte postale !

La course a commencé dans de très bonnes conditions, avec un départ dans pas trop de vent, mais aussi pas trop d’humidité, le soleil couchant... un cadre idyllique ! Seul petit bémol : le timing était un peu serré entre la sortie de l’écluse de Ouistreham et le départ en lui-même, car ce dernier était diffusé en direct sur France 3 et ne pouvait donc être décalé. D’entrée de jeu, il fallait donc être dessus : envoi de la grand voile, plombage du moteur, prise de repères sur la ligne de départ, etc…

    

Pour moi, c'est une première de prendre un départ avec un bateau de cette taille, c’est donc toujours compliqué d’évaluer les besoins en temps, en distance, et surtout en vitesse d’avancée sur la ligne… on prend donc un départ un peu couvert, et ce sera assurément un point à travailler pour les prochaines régates ! Très vite, on arrive à naviguer dans du vent frais, mais notre premier virement sur la droite du plan d’eau est un peu raté, ce qui ne nous fait passer en moyen de tableau à la première bouée de dégagement.

Heureusement, il y a ensuite un envoi de spi à réaliser vers une cardinale placée devant Ouistreham. Et là, on peut le dire sans fanfaronner : on s'en sort plutôt bien, grâce notamment à un très bel effort de Jörg sur la plage avant ! On a tout de suite trouvé le bon angle sous spi, et on dépose bon petit paquet de camarades sur ce bord, la preuve en vidéo :

 

 

 

Le bourbier de Saint-Marcouf et la Manche à vitesse grand V

On arrive à la cardinale dans le top 5, avant d’enchaîner avec un bord de reaching vers la dernière bouée du parcours côtier, puis nous prenons ensuite la route vers Saint-Marcouf, dans le creux du Cotentin. On a d’abord le droit à un bord de spi un peu serré au début, puis c'est du VMG qui nous attend pour nous permettre un petit décalage dans l’ouest. Dans le fond de l’équerre du Cotentin, c'est assez coton ! On se retrouve dans des zones de conflits entre le vent synoptique et le vent lié à la côte – avec ce fameux angle droit, le vent a du mal à choisir son camp ! Donc toute la flotte bute dans des zones de dévent, et la nuit noire n'aide en rien à deviner le meilleur placement... C'est un peu un pari à l'aveugle ! A un moment, un petit groupe à la côte, comprenant notamment Lamotte (un Mach 3 comme nous) remonte assez fort, et donne bien envie de les rejoindre... mais au final, la réussite s'inverse et le groupe en question se retrouve empétolé pendant quelques heures pendant qu'on continue d'avancer gentiment ! 

Quand le vent rentre enfin sur le plan d’eau, nous sommes au milieu du paquet... pas grandiose mais on s’en tire pas trop mal ! On attaque alors en fin de nuit un grand bord tout droit pour traverser la Manche vers le Solent, et on s'avère plutôt bien inspirés niveau trajectoire et vitesse ! Tout l’enjeu était de trouver le bon angle à la perpendiculaire du courant... On arrive deuxième derrière Redman, et d’une très courte tête devant Crédit Mutuel et Revivre après le lymphome, soit respectivement les derniers gagnants de la Transat Jacques Vabre et de la Route du Rhum... 

Perfide Albion

S’en suit une traversée du Solent au portant dans un petit vent medium et sous un ciel bien dégagé, qui permet même de naviguer en T-shirt ! On enchaîne les empannages pour rester le mieux placé par rapport aux zones de courant et aux zones de vent très influencées par la proximité de la côte. Le début se passe plutôt bien, on se bat avec nos deux concurrents directs sur le tour de l’île de Wight. Le courant est avec nous et dans cette zone il est favorable là où il y a le plus de fond certes, mais encore plus là où il y a de la pente, c’est-à-dire là où il y a des tombants. Donc on va vraiment jouer sur les côtés du chenal pour profiter au maximum des accélérations du courant, mais on se montre un peu trop gourmand à ce petit jeu…

Les bancs de sable étant mouvants, ils sont très difficiles à cartographier. On est donc constamment en train de vérifier la profondeur sous le bateau. Quand on décide d'un nouvel empannage, je lève la tête sur l’écran qui indique 8 mètres 50. Mais alors qu’on commence la manœuvre, le bateau se pose doucement, en entre en légère lévitation... Perdu ! La marée étant descendante, on reste échoués près de trois heures, puisqu’il nous faut attendre la marée basse, puis la renverse, puis que la marée remonte suffisamment pour nous tirer de ce mauvais pas ! Moralement, c’était évidemment un coup dur à bord car les espoirs de belle perf prennent une petite claque, même si on sait bien que c’était une course qui ne va pas être jouée dès la sortie du Solent… mais on est évidemment toujours mieux quand on est devant et qu’on ne voit pas tous les petits copains défiler devant nous ! C'était donc une belle mise en pratique de l'adage du "moral stable" de mon coach Tanguy Leglatin. 

 

Libérés, délivrés !

On repart avec quasiment quarante milles de retard sur la tête de la flotte, direction la pointe sud ouest de l’Angleterre, Land’s End. Cette route est connue pour avoir pas mal de passages à niveau liés aux courants très forts qu’on trouve dans chacune des baies des différentes pointes de la côte sud anglaise, ainsi qu'aux variations du vent dans ces mêmes baies en fonction de la chaleur qu’il y fait et de l’installation ou pas d’une brise thermique ! On est plutôt en réussite par rapport aux bateaux devant nous. La flotte se retrouve en effet très recompactée une fois arrivée à Land’s End.

Malheureusement, dans la dernière transition pour passer juste avant le Cap Lizard, on se retrouve un peu plus arrêtés que le groupe juste devant nous et leur avance de 2-3 milles se transforme rapidement en quinze milles quand on peut enfin redémarrer. On aborde donc la remontée de la mer d’Irlande en retrait par rapport à la flotte, mais pas de façon rédhibitoire et on sent qu’on a encore des cartes à jouer, quitte à prendre un peu plus de risques sur les options pour revenir dans le match...

Une leçon toujours utile 

Une dorsale nous barre la route, mais les fichiers météo ne la modélisent pas tous de la même manière. Quand on est passés à Land’s End et qu’on a pu télécharger ces données, tout nous incitait à aller dans l’Est pour éviter une zone sans vent au milieu du parcours. C’était un peu particulier comme trajectoire parce qu’il fallait aller à droite du plan d’eau pour garder du vent mais avec une première bascule de vent attendue à gauche… donc durant toute cette phase, les concurrents dans notre Nord étaient avantagés. Malheureusement, la bascule de droite est arrivée très (trop) tardivement... Calés dans l’Est comme on l’était, nous nous trouvions certes du bon côté, mais bien trop décalés par rapport à ceux restés à l'Ouest ! On s’est retrouvés à faire du près un peu abattu quand nos concurrents décalés étaient au près serré… Pour résumer, on a dû se réaligner derrière eux, et ce ne fut pas un coup très intéressant !

En revanche, ce qui est intéressant pour moi à en retirer, c’est la comparaison que j'en fais si j'avais vécu la même situation en Mini ! Privé de communication, je n’aurais pas pu avoir accès à ces fichiers météo, et jamais je n’aurais été naviguer autant dans l’Est... Bonne piqûre de rappel donc, face à tant d’incertitudes, faisons du rapprochant et prenons les bascules les unes après les autres en faisant en sorte d’être du bon côté de la flotte… la leçon est bien connue, mais ne fait jamais de mal : ce n'est pas parce qu’on navigue sur un plus gros bateau avec de nouveaux outils à bord que tout change de manière radicale, ça reste du bateau à voile et il faut naviguer intelligemment !

Baston dans la Manche

Après le contournement de Tuskar rock, ce joli phare posé au Sud-Est de l’Irlande, il y a pas mal de cailloux donc il a fallu à nouveau être particulièrement vigilant dans les courants, et ce n'est pas toujours évident quand la fatigue se fait sentir au bout de trois jours de mer. Vue la météo, la direction de course avait décidé d'une réduction de parcours : on laisse donc tomber le Fastnet à regret, car c'est un coin de mer où j'ai de très bons souvenirs ! On attaque alors un grand bord de reaching vers Land’s End, sous gennaker d’abord puis sous solent, après que le vent a un peu refusé et s’est surtout bien renforcé ! C’est un passage bien tonique et plutôt agréable, avec de jolies moyennes à deux chiffres au speedo, ce qui n'est jamais mauvais pour le moral d'un marin ! 

Mais en arrivant de nouveau à Land’s End, on se retrouve dans des conditions bien différentes, à savoir du vent assez fort dans l’axe sur toute la Manche pour remonter jusqu’à Caen. Sur les fichiers, on nous annonçait 25 à 30 nœuds, ce qui correspond à un bon 30 nœuds établis sur l’eau. La mer était agitée, avec des vagues créées par le vent d’une hauteur de 2 mètres 50 à 3 mètres. Le tout était accentué par un courant fort avec un coefficient de marée de 112, ce qui levait des vagues encore plus hautes quand le vent était dans le sens du courant, et vraiment casse-bateau quand le courant était contre le vent ! Ca a donc été trente heures éprouvantes pour les machines comme pour les bonhommes...

De notre côté, on s’est en plus rajoutés un peu de plaisir en commençant par deux heures de pénalité dans la baie de Penzance, entre le cap Lizard et Land’s End. Au moment de notre échouage, on avait en effet été contraints d’allumer le moteur pour se dégager du banc de sable, et, en toute logique, le jury nous a pénalisé pour cela ! Notre petite mésaventure sableuse nous aura donc coûté au total quelque six heures de non-progression sur le parcours, ce qui ne nous a clairement pas aidé pour la perf !

On a ensuite essayé de naviguer aussi bien que possible, à une vitesse raisonnable tout en préservant le bateau. C'était assez engagé, et je dois dire que les quelques pauses qu'on s'accordait à tour de rôle servaient plutôt à essayer de minimiser l'énergie perdue qu'à en récupérer vraiment... Mention spéciale à cette petite vague qui m'a un temps fait croire que j'avais soit cassé trois de mes vertèbres, soit une varangue du bateau ! Dans les deux cas, ça m'aurait embêté, mais ce ne fut finalement pas si grave... On n’a toutefois pas pu éviter un peu de casse et de bobos, d'abord avec la perte des deux capteurs aériens qui donnent les informations sur le vent, puis avec des problèmes électroniques dûs au niveau d’humidité important à bord. On a donc dû beaucoup barrer en se faisant fortement secouer et tremper par de sacrées trombes d’eau à chaque traversée de vague ! 

Côté trajectoire, nos choix semblent plutôt cohérents dans la mesure où on a rattrapé les bateaux qui étaient sur un parcours à peu près similaire au nôtre, notamment Tales 2. On a surtout bénéficié de l’arrêt de beaucoup de concurrents qui ont trouvé les conditions trop engagées pour suivre et ont préféré s’abriter. De notre côté, jamais nous avons eu le sentiment de prendre un risque, et la situation, bien que tonique, a toujours été gérable à bord !

Le plein d'enseignements !

On finit donc cette belle régate sur une sixième place tout à fait honorable au vu des 27 bateaux au départ, mais qui fut plus intéressante à mon sens par tous les enseignements qu’elle nous a offert plutôt que pour le déroulé de la régate en lui-même dans ces conditions un peu particulières ! Personnellement, j’ai trouvé l'expérience géniale car j'ai pu gérer beaucoup de choses à bord, ce qui m’a permis de prendre pleinement  la mesure de ces bateaux. Bonne nouvelle : je me sens tout à fait apte à en assumer la gestion, et surtout j’ai bien l’impression que le jeu va être ouvert et qu’il y a de la place pour faire des choses sympas ! J’ai en effet pu constater que les différentiels de vitesse entre les Class40 eux-mêmes ne sont pas aussi importants qu’entre les Minis, surtout en prototypes, que ce soit au sein d’une même génération et même entre deux générations !

Clairement, il va falloir se battre pour aller jouer devant et c’est ce que je viens chercher sportivement, donc je suis ravi ! Ca promet de beaux challenges, et c’est donc maintenant qu’il faut faire avancer les réflexions et prendre certains choix dans les options d’équipement et d’agencement du bateau et de ses systèmes… Ces six jours de navigation se sont avérés évidemment hyper utiles pour moi dans cette phase d’observation des points forts et points faibles de chaque bateau ! Il va y avoir des leçons à en tirer au chantier. 

Vous l’avez compris… j’ai hâte de retourner travailler pour sortir un super bateau d’abord, et faire de belles navigations ensuite ! Quant à la Normandy Channel Race, je n'avais pas navigué dans ce coin depuis le Tour de France à la voile et le Solent fut une sacrée découverte ! J’espère bien y revenir l'année prochaine, sans cette fausse-note sableuse... Y’a pas à dire, faudra revenir !

PS : Pour l’anecdote, ce fut l’anniversaire de Jörg durant la course, et sa femme lui avait glissé pour petit cadeau… un lapin en peluche ! Voila de quoi donner de l'eau au moulin des superstitieux, dont je ne fais évidemment pas partie...

 

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