Mille choses rendent la Mini-Transat si singulière dans l'univers de la course au large, mais l'absence de communications à bord la rend assurément unique. En course, nous sommes seuls face à nous-mêmes, et vous, qui nous suivez sur la cartographie, ne pouvez qu'imaginer ce que nous vivons sur l'eau. C'est pour cela que la Mini-Transat est une course qui a besoin de se raconter si longuement après-coup. Sur les pontons, d'abord, avec ceux qui ont vécu la même chose, en mieux ou en pire. Puis avec le reste du monde, et surtout ceux qui nous suivent et nous encouragent dans nos projets atypiques, et dont le soutien compte tellement au moment de s'élancer dans cette aventure si intense. 

Merci à tous, et particulièrement à mes partenaires, Project Rescue Ocean, In'tech Medical, Westlake Plastics, Oslo France, MPO et BCM, qui m'ont permis de prendre ce départ plus serein que jamais. Et désolé par avance donc, pour ce compte-rendu qui risque d'être un peu bavard, mais qui vous donnera, je l'espère, une petite idée de cette première étape si exceptionnelle pour moi !

 

A donf, dès le départ ! Crédit : Christophe Breschi

Samedi 5 octobre, La Rochelle

Après deux semaines de repos forcé en attendant une fenêtre météo favorable, le réveil sonne à 5 h 30 ce matin-là. Je ne dirais pas qu'il m'interrompt en plein sommeil profond, mais la nuit a tout de même été reposante, malgré des rêves un peu barrés où Tartine s'envole du ponton... Je me réveille tranquillement, sans stress. C'est mon troisième départ de Mini-Transat, et il n'a pas grand chose à voir avec les précédents. En 2013, j'avais 25 ans et nous partions au casse-pipe vu le coup de vent annoncé. C'est peu dire que j'étais pétrifié par l'émotion - et ce fut d'ailleurs un de mes rares épisodes de mal de mer ! En 2015, je partais pour me prouver que j'étais capable sportivement. Je m'étais mis une pression immense, sûrement un peu démesurée. Cette fois, je me sens parfaitement à ma place, avec mes repères bien établis, mon petit univers qui n'appartient qu'à moi, et ce bateau magique que je connais maintenant si bien après trois ans à ses côtés. 

Petit-déjeuner avalé, je file en direction du bassin des chalutiers. A 6 h 15, je charge à bord de Project Rescue Ocean la nourriture fraîche ainsi que les derniers routages envoyés par mon entraîneur, Tanguy Le Glatin. Je quitte mes fringues de civil. Le bateau est en configuration de course - plus rien ne montera à bord, à part moi. Un dernier message Facebook pour tous ceux qui suivent mes aventures, et je rends mon téléphone. La déconnexion commence, on bascule dans l'autre monde ! Quelques interviews de dernière minute, puis je dis au revoir à mes proches. Il est temps de partir faire un tour sur le ponton pour aller saluer les copains. Je suis fier d'être parmi eux, dans cette famille que je me suis choisie. Tout le monde est si heureux de pouvoir enfin partir que l'ambiance est légère et festive. Au passage de l'écluse, je me dis que je n'ai jamais été aussi prêt pour partir en course.  

 

  

Troisième départ de Mini, passage d'écluse avec le gros smile ! Crédit Photo : Alexis Courcoux

 

1-2 –10 h 30, départ option "solo" et sortie du Pertuis 

Ceux qui me connaissent depuis un certain temps savent que les départs ne sont pas ma partie préférée. Beaucoup de bateaux, de tensions, de réactions des autres à anticiper : les risques de collision me paralysent souvent pour aller jouer devant. On dirait qu'Eole est de mon côté, puisque ce tout début de course se tient dans une brise évanescente, évitant les situations un peu tendues. Pour ma part, je choisis le côté droit du plan d’eau pour rejoindre la bouée de dégagement. L’ensemble de la flotte part plutôt de l’autre côté...  J'ai un bref moment de doute mais j’avance et ai la sensation que ce n’est pas leur cas. Et faire les choses tout seul de mon côté, ça me va bien aussi ! 

Un peu trop conservateur, je ne vais cependant pas jusqu'à « taper dans le coin » et me fais reprendre par Julien Berthélémé qui passe la première marque en tête quelques longueurs devant moi… Mais je vire en tête des protos, ça fait toujours plaisir ! Et surtout : pas d'accrochage à la bouée comme en 2015 : les vieux démons ne reviendront pas me hanter ! Cette fois, c'est parti ! 

 

   

Ok les copains, moi je vais aller dans l'autre sens... Crédit : Alexis Courcoux

 

Pour sortir du Pertuis, un gros nuage pluvieux scinde la flotte en deux. Je passe à sa droite en longeant l’ile de Ré, et échappe à la molle derrière ce gros nuage. Une fois en route libre vers le premier front froid je suis en tête, ma position n’est pas pour me déplaire, et je me sens d'entrée de jeu dans le match, bien dans ma course !

 

3-4 – Petit recalage vers le Sud et premier front

Pour ces premiers milles de course, le vent prend rapidement de la droite et nous faisons désormais cap au Nord-Ouest. Vue ma position, la flotte a tendance à s’aligner derrière moi et je tarde un peu à faire ce recalage vers le sud. Quand le vent revient à gauche je reprends ma route vers l’Ouest, mais mes adversaires sont un peu revenus dans l’histoire… J’ai réussi néanmoins à conserver un positionnement Ouest par rapport à la flotte, ce qui me permet d’être le premier à toucher le vent de Nord-Ouest derrière le front et d’avoir un bon angle pour faire cap vers La Corogne…

 

Le petit gennak MPO est de sortie, les premières vitesses à deux chiffres s’affichent sur les compteurs ! La mer est très formée, notamment à cause des dépressions successives et du passage du cyclone Lorenzo, ce qui rend la navigation un peu dure, mais je trouve vite mon rythme de course, et n'oublie pas de prendre soin du bonhomme. J'enquille quelques siestes et petits repas - sans grand plaisir, mais comme dirait mon propriétaire octogénaire : "Un sac vide, ça tient pas debout". Dont acte.

 

5-6 – Contournement de la bulle et cap vers « LE » Cap

Une petite bulle anticyclonique nous fait ralentir dans le nord de Gijón. Positionné dans l’ouest de mes camarades, je suis moins affecté par le vent faible et repars au près vers l’ouest et le second front froid… Je vais cumuler jusqu’à plus de 10 milles d’avance, le plan se déroule jusque là sans accroc ! Je découvre le bateau avec autant de matos à bord et c’est une vraie réussite : ça avionne et la nouvelle vitesse-cible au près devient 7,4 nœuds ! Je suis heureux de sentir que le 945 a encore beaucoup de choses à m'apprendre.

Malheureusement, le second front froid tarde à arriver et je suis obligé de virer vers le sud avant la rotation du vent… Le bord n’est pas agréable avec peu de vent et beaucoup de ressac, au bout de quelques heures, je décide de remettre une couche dans l’ouest à la rencontre du second front. Je finis par passer « de l’autre côté » et toucher le vent de nord-nord-ouest. Je veux absolument passer à l’intérieur du DST pour rester entre mes adversaires et l’arrivée (consigne insistante du coach avant le départ), et du coup je me retrouve au portant à enchainer les empannages, ce qui permet à mes poursuivants de recoller…

Rien de dramatique en soi, même si c’est toujours un peu rageant car j’avais eu la sensation de bien faire dans le Golfe de Gascogne. Après ce premier tronçon du parcours, je suis donc à égalité avec François Jambou sur le 865, et quelques milles devant Tanguy Bouroullec sur le 969. Place à la descente vers les Canaries !

Mal payé sur le passage du "tampon" au cap Finisterre, mais je me rattraperai ! Crédit Photo : Alexis Courcoux

 

7 – La grande glissade portugaise et le "gentlemen's agreement"

D’abord sous Grand Spi Oslo, le vent rentre et la mer se forme, j’envoie le Spi Médium In’Tech. Le vent continue de rentrer, je l’affale pour le renvoyer quelques minutes plus tard arisé (surface réduite de 10m²). Le vent rentre encore un peu mais surtout la mer se forme, c’est désormais le Grand Gennak Westlake Plastics qui prend place sur le bout-dehors.

On se tire la bourre avec François Jambou jusqu’à ce que cela devienne déraisonnable (il aura fallu un énorme planter avec le bateau le nez dans la vague qui me précédait, de l’eau jusqu’au pied de mât et les safrans hors de l’eau malgré les deux ballasts remplis – 340 kilos tout de même - pour que j’en convienne…). On finit par s’entendre pour calmer le jeu en face de Porto et éviter de plier nos deux bateaux à plus de 800nm de l’arrivé. On baptise ça le « gentlemen’s agreement » (notre côté lord sûrement), et c’est ce qui vous a valu quelques sueurs froides devant vos écrans visiblement, désolé pour la frayeur !

Au lever du jour on repart à l’attaque, la mer n’est pas complètement rangée mais c’est tout de même un peu plus praticable !

    

Quand Project Rescue Ocean prend la pose pour l'hélicoptère ! Crédit Photo : Christophe Breschi

 

8  Petit recalage

Malgré son spi medium déchiré, Tanguy qui aura navigué essentiellement sous grand gennak est bien revenu au contact. Un peu dans l’Ouest de mes concurrents, je touche une petite molle, j’ai la sensation que plus j’avance dans l’ouest moins j’ai de vent, je décide d’empanner et de faire route vers le sud pendant deux heures pour récupérer un peu de pression dans les voiles… C’est à ce moment que je croise Tanguy qui m’informe de son infortune. C’est reparti vers le sud-ouest pour aller chercher une rotation du vent à droite au large de Lisbonne !

9  Empannage vers le sud et vent arrière voiles en ciseaux

Les surfs s'enchaînent et la machine à laver tourne à plein. Il faut s'imaginer ce que ça fait de vivre dans un bateau lancé quasiment en permanence à plus de 13 noeuds.... D'autant que la descente le long du Portugal s'est faite sous une épaisse couverture nuageuse qui a compliqué la vie de tous ceux qui, comme moi, ont fait le choix du 100 % solaire pour l'énergie du bord. Pour ma part, j'avais déjà connu ces problèmes l'année dernière sur la course des Sables-Les Açores, et je m'astreins donc depuis à une discipline féroce, composée notamment de longues heures à la barre - 17 à 20 heures par jour en moyenne sur les deux-trois derniers jours. Ca fatigue, mais ça fait aussi avancer le bateau : je fais à ce moment-là ma pointe de vitesse sur le bateau, en atteignant plus de 22 noeuds !

Mais à l’heure d’empanner pour profiter de la rotation du vent au nord-nord-est et faire route plein sud vers les Canaries, le niveau de charge des batteries du bord est vraiment faible, celles du bonhomme également. Je décide de mettre le bateau plein vent arrière, voiles en ciseaux, pour m’accorder 3 heures de sommeil dans une configuration peu énergivore… c’est l’heure de manger mon pain noir, mais surtout prendre des forces pour la suite de la bataille !

 

Gestion du sommeil en mode transat, jamais complètement dans le rouge ! Crédit photo : Alexis Courcoux

 

10 – Changement de programme

Quand nous sommes partis, les prévisions météo nous annonçaient un long bord en route directe vers Les Canaries. C’était sans compter sur le passage d’une dépression sur l’Europe et surtout sur l’influence du front froid associé qui allait pousser l’anticyclone des Açores vers le Sud-Est, soit nous passer dessus…

Je choisis pour ce dernier tronçon de me décaler dans l’ouest :  je serai probablement le premier à ralentir dans le ventre mou de l’anticyclone et de sa dorsale associée mais je pense que cela me permettra d’être le premier à toucher le nouveau vent de secteur ouest en lien avec le passage du front froid dans notre nord… Je prend cher au classement mais ne me démobilise pas, j’ai fait le choix de me décaler de mon côté, il faut que j’assume et que je fasse marcher le bateau au mieux si je veux que ça paye ! Objectif « moral stable » plutôt bien atteint, je suis content de mes progrès à ce niveau-là et je sens là aussi combien l'expérience des Mini-Transats précédentes joue à plein ! 

Mauvaise surprise à un réveil de sieste : je retrouve ma barre cassée en deux sur le pont du 945. Je refais vite le scénario du crime : avant le départ, j'avais changé mon diabolo de stick pour avoir quelque chose de bien raide. Malheureusement, la bôme se baladant de gauche à droit dans la molle, celle-ci s'est coincée dans le stick et en retombant dessus de tout son poids l'a cassée en deux. Rien de grave, mais pour le bricoleur de service que je suis, c'était un peu inévitable de ma lancer dans un collage... Pour l'anecdote, j'utilise une partie de l'affiche d'Arnaud Machado, skipper du 910 qui n'a pas pu prendre le départ à cause d'une fracture du genou à la Rochelle, pour faire mon mélange... Merci pour le coup de main Arnaud, et pour la compagnie sur cette étape, je suis heureux de t'avoir eu à bord avec moi !

Fier d'avoir eu l'ami Arnaud à bord, c'est aussi toi qui m'a donné la niaque ! Crédit Photo : Christophe Breschi

 

11 – Regroupement au nord de Gran Canaria

Je pense être effectivement le premier à toucher le vent de sud-ouest le matin du dernier jour de course, je bénéficie également de son renforcement plus tôt que mes petits camarades… Cela m’aide à revenir fort sur eux et réduire considérablement l’écart. Enfin ça, c'est facile de le dire après coup : en vérité, sur l'eau, je ne sais rien du placement de mes concurrents directs, mais je m'accroche férocement à cet espoir pour me motiver à ne rien lâcher. Là encore, je sens que je suis capable désormais de ne plus plonger dans des cogitations inutiles et énergivores pour questionner mes choix : j'ai pris une option, je l'assumerai jusqu'au bout !

Je suis heureux de découvrir que mon plan s'est déroulé comme je l'imaginais : François Jambou, premier à se présenter aux abords de l’ile, butte dans de la molle avant de se faire rejoindre par Tanguy. Je les entends échanger tous deux à la VHF, dans un premier temps ils ne se doutent pas de ma présence… « Tu penses qu’Axel a pu revenir ? – il était loin quand même… » Je suis décalé dans leur ouest et ce n’est pas pour me déplaire, je reste convaincu que c’est par là que reviendra à nouveau le vent… C’est le cas et celui-ci a du mal à remplir le plan d’eau ! Grâce à une superbe visibilité avec la quasi-pleine lune, j’arrive à naviguer en bordure de la zone de vent et en profite pour réduire encore l’écart ! J'ai l'impression d'avoir lancé la BO des "Dents de la mer" et de fondre discrètement sur mes proies...

    

12 – Le vent de nord rempli le plan d’eau

Après quelques dizaines de minutes à longer la bande de pression, celle-ci me passe au-dessus pour aller remplir plus franchement le reste du plan d’eau. D’abord nord-nord-ouest dans ses premiers souffles, ce nouveau vent prend de la droite pour s’orienter nord-nord-est. Toujours à droite de mes concurrents, c’est le jackpot ! Le décalage latéral avec Tanguy se transforme en gain sous le vent et je fais désormais cap sous le vent de la position de François qui n’a pas encore redémarré !

Quand il finit par toucher ce nouveau vent, j’ai quelques dizaines de mètres de décalage sous son vent. J’arrive lancé, le bateau est réglé et lui doit prendre le temps de s’adapter, avec notamment un changement de spi (de médium à grand spi). Cette manœuvre me permet d’entériner la reprise du leadership, c’est un peu le hold-up mais je suis heureux de voir que mon pari paye !

Quand tout le monde se retrouve dans ton tableau arrière... ​Crédit Photo : Alexis Courcoux

 

13 – Contrôle sous haute tension

Je suis en tête certes, mais l’écart est dérisoire. François navigue bien et fait ce qu’il y a à faire, j’ai probablement bien joué le coup mais suis également conscient d’avoir eu de la réussite, là où il en a eu nettement moins… Au gré des molles et des risées les écarts varient légèrement mais j’arrive à ne pas me laisser déborder. François placera une dernière attaque qui, à l’occasion d’une dernière rotation du vent (à gauche cette fois-ci), lui fera perdre 800m. J’enroule donc a dernière marque de parcours avec un demi mille d’avance, concentration et application dans cette dernière manœuvre d’affalage et c’est parti pour quelques minutes de près en direction de la ligne d’arrivée…

Je savoure ces instants magiques au milieu des innombrables lumières de la ville et du port de commerce :

J’ai claqué la première étape de la Mini !!!

 

J'intitulerai cette oeuvre "Allégorie de la joie et de l'irréalité" Crédit photo : Christophe Breschi

Plus d’une semaine après mon arrivée, me repencher sur la carto me rappelle combien cette étape a été riche et passionnante à courir – et à suivre j’espère. J’ai beau avoir quelques milles au compteur avec ces petits bolides, je ne me lasse pas de voir comment trois prototypes aussi différents que celui de François, de Tanguy et le mien peuvent finir à moins de trente minutes après huit jours de course. Chacun a ses points forts et ses petites faiblesses, ses inquiétudes et ses casses… Je pense que le mental a joué pour beaucoup dans cette étape et je suis bien content de sentir que je suis au niveau sur cet aspect ! 

On dit souvent que la première étape ne suffit pas pour gagner la Mini-Transat, mais qu'elle peut suffire pour la perdre. Je suis heureux de n'être pas passé à côté de ma course. Je ne vous cache pas que l’envie de bien faire auprès de mes partenaires et de vous qui me soutenez a joué énormément dans l’équation ! Je suis néanmoins lucide sur le fait que le match reprend à zéro pour la seconde étape, et qu'il va falloir tout donner sur cette traversée de l'Atlantique. Ca tombe bien, j'ai le sentiment d'en avoir encore sous le pied, et surtout d'avoir encore plus envie d'en découdre sur ce gros morceau, après la satisfaction d'avoir pleinement réussi ma première étape !

  

Champagne, c'est ma tournée ! Crédit photo : Christophe Breschi

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