Et voilà, nous y sommes : la saison 2022 est bel et bien lancée ! Cette première course de l'année, je l’ai abordée dans un état d’esprit et de corps un peu particulier : fatigué. Vraiment vraiment fatigué. Initialement, le programme était simple : un mois d’entraînement au Portugal en février pour appréhender le solitaire à bord du Class40 Project Rescue Ocean, trois semaines de repos et de préparation physique en laissant mon préparateur Arno Biston faire le gros du bichonnage du bolide, et un début de saison en avril dans les meilleures dispositions !

« Un jour j'irai vivre en Théorie, car en Théorie tout se passe bien », dit l’adage britannique. Car oui, comme souvent en voile et plus généralement dans la vie, il a fallu s’adapter à la réalité ! Cette fois, le petit caillou dans la chaussure a pris la forme de plusieurs OBTBIMBR (objets flottants très bien identifiés mais bien relous). Des milliers de planches de bois ont en effet été perdues par un cargo dans le Golfe de Gascogne en février, et nombre de voiliers en font les frais depuis. Les chocs répétés sur notre descente vers le Portugal, puis notre retour vers la Trinité, ont créé des dégâts majeurs sur la quille, qui nous ont obligés à sortir en urgence le bateau de l’eau pour un chantier pas prévu, et particulièrement intense.

Une semaine avant le départ des 1000 milles des Sables, la quille était encore en court d'enduit… autant vous dire que le timing a été plus que serré et qu’il n’a pas fallu compter les heures en tenue de chantier !

Du coup, être sur cette ligne de départ samedi 9 avril était déjà une victoire en soi. L’idée pour moi était surtout de finir cette boucle d’une part pour me qualifier pour la Route du Rhum, et d’autre part pour trouver le rythme en solo sur la durée. C’est en effet un bon exercice que de partir fatigué sur une course de 1000 milles, car cela rapproche d’un format long comme le principal objectif de la saison !

 

  

Un class40 bleu, qui surgit hors de la mer...Crédit photo : Bernard Gergaud

Le départ s’est fait dans des conditions idéales, avec un peu de vent d’Ouest/Nord Ouest et une belle visibilité, permettant autant aux badauds de profiter du spectacle qu’à nous skippers d’éviter les prises de risque sur ces moments toujours stressants, qui plus est pour une première en solitaire ! Je prends un très bon départ, et coupe la ligne en tête, mais je prolonge un peu trop mon premier bord vers la bouée spectacle des Sables d’Olonne, ce qui me fait rétrograder en milieu de flotte au moment de quitter la baie. En direction de la première marque de parcours, je retrouve un peu mes petits sur un bord au vent de travers vers le plateau de Rochebonne. Je gagne quelques places et recolle la tête de flotte, ce qui est toujours agréable pour se mettre dans l’ambiance !

Ensuite, nous faisons route vers « BXA », une bouée située devant l’estuaire de la Gironde. Le vent a complètement molli, donc on fait route vers l’Est pour bénéficier d’un angle plus favorable quand le vent rentre, à l’Est de la dorsale. On finit sous gennaker, au vent de travers assez serré. Dans les petits airs, c’est toujours autant aléatoire : un coup le voisin va avancer pendant qu’on reste scotchés à la piste, puis sans plus d’explications la logique s’inverse. Il faut être patient, et ne pas s'agacer. Plus facile à dire qu'à vivre !

Je parviens tout de même à passer BXA en 3e position. Le bord suivant nous emmène jusqu’à la Corogne au Nord-Ouest de l’Espagne, majoritairement au portant. J’opte pour un petit contre-bord à 90° pendant une heure pour aller chercher la zone la plus ventée du plan d’eau et profiter d’un peu plus de pression que sur la route directe. C’est un choix pris aussi par le leader, Corentin Douguet, pendant que les autres forment un « groupe du Sud » qui disparait progressivement de nos écrans AIS. Toujours la petite pointe d’appréhension à l’idée de savoir qui aura raison au bout du compte, mais c’est ce que j’aime plus que tout dans ce travail : choisir sa stratégie, et surtout s’y tenir !

Après une heure à s’écarter de la route sous grand spi, on empanne quasiment en même temps avec Corentin. Rapidement, on recroise nos camarades Ian Lipinski et Simon Koster, qui s’étaient aussi recalés dans le Nord finalement. Pas de gain, mais pas de perte non plus. Il faudra se départager autrement !

 

De l'économie intelligente

Le vent commence à se renforcer. Je fais le choix de passer sous spi medium dans la nuit noire. Au petit matin, la mer commence à se creuser et à prendre un petit tour chaotique. Je passe sur le petit spi comme bon nombre de mes concurrents. Ca paraît anodin, mais quand on change de voile en solitaire, on y laisse beaucoup d'énergie et c’est au moins 15-20 minutes où on est forcément moins rapides que la concurrence. Donc il faut vraiment que ça vaille le coup ! Or sur ce bord, plusieurs bateaux ont eu l’intelligence de se passer du spi medium, et c’était - avec le recul - un très bon calcul ! Sur l’ensemble de ce bord et malgré ce changement de voile supplémentaire, je me repose néanmoins beaucoup. L’idée était de me préserver, donc j’ai été beaucoup plus raisonnable que d’ordinaire pour garder de l’énergie pour la suite du programme. 

Cela ne m’a pas inquiété de décrocher un peu le trio de tête, car je savais qu’une belle zone de transition avec des vents faibles nous attendaient. Comme attendu, on a eu un beau regroupement de flotte, ce qui est toujours rageant quand on avait un peu pris la poudre d’escampette. Pour ma part, je choisis de me décaler légèrement au Sud, en espérant bénéficier d’un meilleur angle après la rotation du vent. Ca a marché, mais seulement dans un second temps ! Dans un premier temps, les Nordistes sont passés plus tôt à la caisse. Avec Ian Lipinski, qui avait aussi choisi cette option, on a eu une petite frayeur, car la mer commençait à être vraiment pas agréable pour nous deux et le vent toujours mou… mais on a enfin été récompensé une fois le vent revenu ! A 6 bateaux devant – avec Antoine Magré et Nicolas d’Estais -, on passe la bouée virtuelle de la Corogne dans un mouchoir de poche.

C’est aussi le moment où on apprend le chavirage d’Armel Tripon enOcean Fifty. On a quelques échanges à la VHF et ça jette forcément un froid de savoir qu’un marin vit un moment vraiment pas drôle. On était tous bien rassurés de savoir qu’il allait bien et qu’il avait pu être hélitreuillé ! Le bateau a également pu être récupéré, ce qui est toujours une sacrée satisfaction. 

De l'absence de récompense d'être raisonnable

Ensuite, il ne fallait pas se déconcentrer et on a mis le cap sur la chaussée de Sein, prochaine marque de parcours au large de la Bretagne. Je ne sais pas si le terme de « conservateur » est pertinent pour décrire ce bord, en tous cas j’ai eu la sensation d’avoir appris de mes changements de voile trop nombreux du début de parcours, et je suis parti directement avec le petit spi. Un bon point pour la leçon, surtout que le vent s’est vite renforcé ! Malheureusement, après quelques heures à ce train, mon petit spi a volé en éclats, et c’était particulièrement frustrant d’être puni malgré mon choix de la raison ! Je suis donc passé sous gennaker un peu plus tôt que prévu, ce qui m’a décalé dans l’Est et m’a fait sortir de la veine de vent soutenu un peu plus tôt que mes camarades. Forcément, j’ai perdu un peu de terrain à ce moment-là… C’est frustrant car il n’y avait pas de signe d’usure avant-coureur, donc ça fait clairement partie des choses qu’il va falloir analyser pour éviter que ça ne se reproduise !

Le bord sous gennaker était relativement rapide malgré tout, et j’en ai profité pour me reposer à nouveau, malgré la proximité de la route des cargos. En approchant de la Chaussée de Sein, le vent a de nouveau adonné, c’est-à-dire qu’il s’est rouvert, donc on a pu de nouveau passer sous spi. Comme le vent avait aussi faibli, j’ai sorti la plus grande de mes bulles, et on a même dû faire quelques empannages. A ce jeu-là, je ne m’en tire pas trop mal car j’arrive même à rattraper Ian et Simon. Après notre demi-tour, on se retrouve au près, où là encore tout est une histoire de compromis entre se rapprocher au mieux de l’axe du vent, et avoir une bonne vitesse. C’était assez intéressant car on a pu travailler les réglages dans la finesse et comparer les vitesses de chacun ! Une bonne entrée en matière.

Là, on avait donc fait en trois jours environ 75 % du parcours. Ensuite, c’était route quasi directe vers les Sables, un moment toujours agréable de sentir qu’on rentre vers la maison ! Sauf que sur notre chemin se tenait une énorme bulle anticyclonique sans vent, et on savait donc qu’on mettrait au moins deux jours à finir le parcours. La fatigue accumulée m’a fait faire quelques bêtises au cours de cette nuit – enfin surtout reproduire les bêtises de mes petits camarades sans écouter mon instinct qui me disait que ce n’était pas la bonne option – et j’ai dû enchaîner quelques « comas » pour récupérer en urgence. Dans ces moments, je peux vous dire que même le réveil à 110 décibels a du mal à nous réveiller !

Piqûre de rappel : surtout ne jamais suivre l'ami Lipinski dans ses lubies... Crédit photo Bernard Gergaud !

Gagnant à la loterie

L’avantage c’est qu’après ces siestes répétées, je me sentais plutôt frais pour aborder le finish. Avec ma position de 4e et un petit trou devant le 5e, j’étais assez libéré niveau stratégie puisque j’avais plus à gagner qu’à perdre. Mon état d’esprit était clair : faire au mieux.

Les camarades de devant se sont arrêtés dans la molle avant moi, ce qui a réduit l’écart. Simon a réussi à attraper une petite veine de vent pour rester plus proche de la route directe, pendant que Corentin, Ian et moi avons dû faire une route un peu plus Sud. Simon paraissait alors en super position pour faire le hold-up, mais la loi de la pétole est vraiment imprévisible. Finalement, et assez paradoxalement, nous avons touché en premier un vent de Nord, qui m’a permis de revenir à la hauteur de Simon et même de le doubler pour attraper ce premier podium de la saison 2022. Evidemment, Simon est un ami et ce n’était pas le plus sympa de lui chiper la place sous le nez, mais cela fait partie des joies de la régate et je sais qu’il n’aurait pas eu d’états d’âme à en faire de même !

 

Qu’est ce que je tire de cette expérience ?

Déjà, je suis vraiment très satisfait d’être arrivé sans ressentir un état d’épuisement avancé. Je suis très content de la gestion de mon rythme à bord, j’aurais pu tenir encore largement 5 ou 10 jours comme ça malgré ma fatigue du départ, ce qui est vraiment encourageant. J’ai eu quelques petites bricoles à gérer sur le bateau, notamment autour du moteur ou de la chaussette de spi. Des difficultés que j’ai réussi à résoudre sans trop de problèmes, donc là encore on emmagasine de la confiance dans sa capacité à gérer les petites bidouilles du bord ! Pour conclure, ces 1000 milles des Sables ont encore été riches d’enseignements, que ce soit dans la façon de régler le bateau, la connaissance de la concurrence (et notamment des nouveaux arrivés sur le circuit, coucou Corentin) mais aussi dans les réflexions pour optimiser la navigation en solitaire. On progresse en vue de l’objectif principal de l’année, et, vu les conditions de départ, je ne pourrait pas être plus satisfait de cette entrée en matière !

 

V comme, "vais enfin pouvoir dormir un peu" ! Crédit photo : Vincent Olivaud

 

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